« Peut-être que je ne m'engage pas assez et que je fais juste un film sur la politique au lieu d’en faire »

LES PROMESSES est le second long métrage de Thomas Kruithof après LA MECANIQUE DE L’OMBRE sorti il y a tout juste cinq ans.

A travers ce film politique aux accents de thriller, le réalisateur brosse le portrait de Clémence (Isabelle Huppert), maire d’une ville de Seine Saint-Denis, qui livre avec Yazid (Reda Kateb), son directeur de cabinet, une bataille acharnée pour sauver une cité minée par l’insalubrité et les “marchands de sommeil”. Ce sera son dernier combat, avant de passer la main à la prochaine élection. Mais quand Clémence est approchée pour devenir ministre, son ambition remet en cause tous ses plans. Clémence peut-elle abandonner sa ville, ses proches, et renoncer à ses promesses ? …

C’est un réalisateur heureux que j’ai eu le grand plaisir de rencontrer à Royan en décembre dernier. Le metteur en scène sortait tout juste d’un bel échange avec le public venu nombreux pour découvrir LES PROMESSES dans le cadre de la première édition du Festival du film de société.

Quelle signification donner à ce titre LES PROMESSES ?
Thomas Kruithof : La politique, c’est quoi ? C’est convaincre. Donc, chaque scène reflète un peu ça. Le système est complexe, il y a beaucoup d’intervenants pour que les personnages principaux joués par Isabelle Huppert et Reda Kateb parviennent à leurs fins. C’est un film de tractations, de négociations, d’affrontements. Et pourtant, le consensus n’est jamais atteint. Mais ça s’appelle LES PROMESSES parce que les promesses, c’est un peu la base de la politique, c’est un peu tout ce que ces personnages échangent comme une monnaie à travers les différentes histoires racontées dans le film. Et puis les promesses, ça a aussi une résonance plus intime, ce sont les promesses qu’on se fait à soi-même sur qui on sera, comment on se comportera, quel homme politique on sera. Et dans le film, cette question concerne aussi bien le personnage d’Isabelle que celui de Reda Kateb.

A-t-il été facile de convaincre du bien-fondé d’un tel projet autour de l’engagement et de la politique ?

Thomas Kruithof
C’est vrai que ce genre de sujet politique est aujourd’hui plus présent dans les séries ou sur les plateformes qu’au cinéma. Mais j’ai eu la chance que mes producteurs soient très, très engagés dès le début sur le projet. J’ai donc un peu tendance à oublier les difficultés mais je n’ai pas l’impression que ça a été si compliqué que ça.  Je pense, vu qu’il y a peu de films sur la politique en France, que chez tous les gens qui ont participé à son financement ou qui l’ont acheté, il y avait aussi probablement ce goût de voir un film sur la politique et de participer également à la petite singularité que ça représente dans la production française.

Y avait-il un enjeu particulier à se lancer dans cette aventure ?
Un des enjeux était de représenter la réalité avec vérité et honnêteté. On n’est ni dans le cynisme, ni dans l’angélisme. Même s’il y a de belles impulsions chez des personnages dans le film, il y a aussi des impulsions plus sombres, plus calculatrices, plus cyniques. L’autre enjeu était de réaliser un film vivant et captivant, qui raconte la complexité de la politique sans être compliqué. Un film qui transmette la tension, l’excitation de cette vie un peu augmentée avec ce que représente l’engagement, la politique locale, la réalité du terrain, bref l’engagement politique au quotidien. Je ne dirais pas que le film est un thriller, mais au fur à mesure qu’il avance, que les conflits s’intensifient, que des fractures se créent entre les personnages, il y a une montée de tension et de suspense et d’énergie. C’est ça qu’on essayait d’atteindre.

Y-a-t-il eu un déclic particulier qui a provoqué la naissance de ces PROMESSES ?
En fait, ma première envie était de m’approcher du courage politique. J’entendais souvent ce terme « Quelle décision courageuse, untel a fait preuve d’un grand courage » et souvent, je me demandais si c’était vraiment du courage !  Très vite, je me suis rendu compte que si j’avais envie de parler de ça au mieux, le plus judicieux était de le faire à travers la politique locale avec cette place particulière du maire qui est redevable devant les citoyens, devant les habitants de sa ville dont il connaît les problèmes, dont il connaît le nom et la situation. Le maire est un peu au cœur de l’échiquier politique français, c’est à dire entre le peuple et le pouvoir central.
Dans le film il s’agit du maire d’une ville pauvre du 93 qui a de gros problèmes à régler, en l’occurrence sauver une cité devenue totalement insalubre et la rénover. Et ces problèmes, le maire ne peut pas les résoudre tout seul.

Sinon, je ne sais pas quand a eu lieu véritablement le déclic, mais c’est sans doute après ma rencontre avec Jean-Baptiste Delafon, qui était un des deux auteurs de Baron noir (ndlr : série Canal+). On a trouvé un territoire commun et l’envie immédiate de faire un film sur la politique qui ne soit pas centré sur la conquête du pouvoir, comme beaucoup de films et de séries, même si c’est souvent très intéressant. On voulait un film qui parle de « qu’est-ce qu’on fait avec le pouvoir ? Comment on transforme la vie des gens, comment on règle les problèmes » et que ce soit l’enjeu autour duquel tous les personnages vont tourner, avec leurs complexités, avec leurs ambitions, leurs égos, leurs failles, avec les histoires qui se racontent dans leurs dos, avec leurs positions sur l’échiquier politique. Ils vont un peu se confronter à tout ça…

Le film est vraiment passionnant dans sa façon de montrer à quel point le pouvoir, surtout local, est limité dans de nombreux cas…
Effectivement ces maires sont, pour certains, tout près géographiquement du pouvoir central et pourtant, ils en sont loin. Et après, c’est malheureusement souvent le lot des villes pauvres. Tu as des problèmes que tu n’as pas les moyens de résoudre tout seul, parce que parce que ton budget est trop limité. Malheureusement, les comptes d’une ville, c’est comme les comptes des entreprises. Beaucoup de villes de banlieue sont soit endettées ou en difficulté et ne peuvent pas résoudre un problème d’urbanisme, comme celui décrit dans le film, sans une aide centrale.

J’imagine qu’il y a eu un important travail de préparation, de documentation sur le terrain ?
Ce n’est pas un documentaire mais un film documenté et ça reste une fiction avec, j’espère, un souffle de thriller, un souffle épique autour d’une cause qu’on défend et pour laquelle on se bat. Mais effectivement, on a rencontré des maires, des gens d’associations et on s’est baladé dans les quartiers dont le film s’est inspiré. C’est assez documenté. Tout au long du travail de préparation et encore un peu avant le tournage on a rencontré beaucoup de gens. J’aimais partager un peu du quotidien des maires, me balader, déjeuner et discuter avec eux…

Globalement, pourquoi fait-on une fiction ? Probablement pour obtenir un effet d’intensification du réel. On prend des choses qui sont vraies, on les met dans une cocotte- minute pour faire mijoter assez fort et probablement pour accéder d’une manière différente, sans les mots, à l’intériorité et ici à la psychologie de personnages politiques. Je me suis inspiré de gens que j’ai rencontrés, des personnalités très intéressantes, des gens qui vivent des vies très intenses.

Qu’est-ce qui vous touche particulièrement chez Clémence et Yazid et chez les gens qui ont inspiré leurs personnages ?
Ce qui me touche et me frappe, c’est une espèce d’énergie, une puissance à se battre, la niaque, la volonté. Peut-être que c’est un peu ça, le courage. Et puis ce qui me touche, ce sont leurs contradictions, leur fragilité et la difficulté pour le personnage d’Isabelle Huppert d’arrêter la politique, c’est très difficile. Souvent, ce n’est pas très noble de s’accrocher à son trône mais j’arrive à me relier humainement à ça. C’est une vie tellement forte, tellement intense, qu’elle est difficile à abandonner. Il y a ça aussi chez le personnage de Reda Kateb. J’ai probablement une fascination pour les gens qui s’engagent. Alors peut-être que je ne m’engage pas assez et que je réalise juste un film sur la politique au lieu d’en faire.  

Le travail d’enquête sur le terrain pour préparer le film ne vous a pas donné justement l’envie de plus vous engager ?
Je ne sais pas ! Mais c’est vrai que ça aide de trouver les gens qui font ça, inspirant et de les admirer tout en connaissant aussi leurs défauts car il y a aussi parfois beaucoup de narcissisme et une volonté de puissance chez les hommes politiques. Ensuite, le truc qui donne probablement le plus envie de s’engager, c’est quand même d’avoir des enfants. C’est plus cette raison, que le film, qui me donne envie d’essayer de contribuer à quelque chose (sourire).

Il y a quelque chose de très étonnant dans la relation entre le maire et son chef de cabinet. Ils sont au quotidien ensemble…
C’est vrai que c’est une relation d’amitié professionnelle ou chacun est totalement dédiée à son job. Le premier coup de fil qu’elle passe le matin et le dernier coup de fil qu’elle passe le soir, c’est pour son directeur de cabinet. Moi, ça m’intéressait de raconter cette espèce d’amitié professionnelle constituée d’une admiration mutuelle où la frontière entre l’intime et le professionnel n’est pas toujours claire, comme on peut le voir dans le film. Et puis de raconter un peu, comment cette relation peut se fracturer.

Comment avez-vous imaginé ce « couple » formé par Isabelle Huppert et Reda Kateb ?
Très vite quand on a imaginé les personnages, nous est venue l’idée de ce duo. Et le fait d’imaginer un acteur pour chacun des personnages, ça aide un peu à les faire vivre dans son esprit. Après, on essaie de les oublier pour construire les personnages, c’est un peu ce qu’on a essayé de faire. Mais quand on a terminé l’écriture, on est vite revenu à cette idée de départ.
J’ai rapidement vu la manière de se déplacer de Reda, son élégance mais aussi sa tension ainsi que la silhouette frêle mais pleine de force et d’énergie d’Isabelle Huppert et son autorité naturelle. Donc, c’était très inspirant.

Dans quel état d’esprit étiez-vous au moment de leur proposer ce scénario, ce film ?
La première chose, c’est l’envie qu’ils aiment le scénario et qu’ils te fassent confiance. Mais rapidement, ça devient un échange, c’est assez intense. Au premier rendez-vous, tu te dis « voilà, je vais rencontrer Isabelle Huppert, c’est peut-être la dernière fois que je la vois, la seule fois où je vais abattre mes cartes ». On s’efforce de pas trop en dire, mais juste de partir sur des bases sincères.
En l’occurrence, ils ont aimé tous les deux le scénario, ils étaient intéressés, mais ils m’ont quand même beaucoup questionné sur les métiers de leurs personnages pour voir la vision que j’en avais. On se dit beaucoup de choses avec les acteurs et en même temps, on ne se dit pas tout. Tu n’as pas besoin de savoir exactement comment ils travaillent. Ce qui compte, c’est qu’on arrive à fonctionner, à trouver une manière de communiquer ensemble. En général, en tous cas pour le jeu et le tournage, il me semble que c’est un peu au réalisateur de s’adapter aux comédiens dans la manière de communiquer.

Vous-ont-ils surpris sur le tournage ?
Tout le temps !  C’est la beauté de travailler avec des acteurs comme ça et de ce métier en général. Quand Reda arrive avec une idée, il y a quelque chose d’une partie de ping-pong entre eux. Et quand l’un propose quelque chose, l’autre réplique, c’est assez miraculeux, parce qu’en plus, ça paraît assez simple pour eux.  Le film est assez vif là-dessus, leurs échanges racontent une espèce de complicité intellectuelle forte. Je connais hyper bien la filmographie d’Isabelle Huppert et de Reda Kateb. Je peux lire leurs dialogues dans ma tête, avec leurs voix, mais jamais ils ne diront les dialogues tels que je l’avais imaginé. C’est la beauté du truc quand il se dégage de leurs échanges quelque chose d’organique. Il y avait une émulation entre eux qui était vraiment très chouette.

Avec Isabelle et Reda, avez-vous parfois été déstabilisé lors de tournages de scènes avec des comédiens non professionnels, de véritables habitants de la cité ?
Je sais toujours où je vais placer ma caméra, quitte à changer d’avis au dernier moment. J’essaie donc d’être prêt et ouvert à toute proposition ou tout « accident ». Si un acteur a envie d’être debout au lieu d’être assis, c’est à moi de trouver une bonne raison pour lui dire de rester assis parce qu’il ne faut jamais perdre la notion de naturel des situations.
Après Isabelle et Reda sont les deux acteurs principaux du film, ils ont un énorme impact sur l’ambiance du tournage, sur le rapport avec tous les techniciens qui nous entourent, mais aussi celui avec les autres comédiens, ceux qui vont venir pour jouer une phrase, serrer une main ou qui vont être là pendant trois ou quatre jours, mais avec peu de temps pour faire vivre leurs personnages. Toi, réalisateur, tu accueilles tous ces comédiens sur ton plateau, mais les acteurs principaux les accueillent aussi. Et Isabelle et Reda sont de bons partenaires, ils laissent l’espace aux comédiens. Ils mettaient à l’aise tous les comédiens amateurs.
Les choses se faisaient de manière assez douce, assez naturelle, assez humaine, assez relax, en fait !

Comment se prépare-t-on justement à investir un endroit comme une cité avec la « machine » cinéma ? En fait, nous n’avions pas une équipe très lourde. On a fait assez attention à ne pas trop en faire parce que c’est vrai que ça peut être vraiment un mastodonte, un tournage.
Et puis nous sommes venus beaucoup, beaucoup, beaucoup de fois avant le tournage. On avait de bons contacts avec les gens de la mairie et avec des habitants qui nous présentaient, qui nous aidaient à découvrir un peu les lieux et à choisir les endroits où on allait tourner.
Ces choses-là dépendent aussi de ton équipe. Tu essaies de faire le film auquel tu as pensé, avec tes valeurs, à savoir tourner en étant cohérent, sans utiliser la force et le côté un peu lourd d’un tournage en écrasant tout autour. En l’occurrence sur ce film, les choses se sont faites naturellement, le contact est passé, on s’est senti bien accueilli dans cette ville de Clichy-sous-Bois, dans la cité du Chêne pointu. Les choses se sont déroulées assez simplement.
Et surtout c’est bien, je crois, d’y avoir débuté le tournage car le sauvetage de cette cité est un enjeu autour duquel les personnages se battent pendant une grande partie du film jusque dans d’autres décors comme l’Élysée. C’était vraiment intéressant que tout le monde, tous les acteurs et toute l’équipe aient ça en tête assez tôt et que ça irrigue bien toutes les scènes qui allaient l’évoquer dans d’autres lieux.

Je ne l’avais pas vraiment calculé comme ça, mais il y a eu en avant et un après ce tournage dans la cité. Tu essaies de rendre compte de quelque chose, d’une situation, d’un combat, d’un combat d’habitants avec honnêteté et dignité. C’était tout l’enjeu de ce film…

Propos recueillis par Jean-Luc Brunet.
Remerciements à Audrey Grimaud et au Festival du film de société pour l’organisation de cet entretien.

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