Interview Amine Bouhafa - Compositeur de la BO de Gagarine

Brillant musicien franco tunisien, Amine Bouhafa a composé la bande originale de très nombreux courts et longs-métrages pour le cinéma (UN FILS, AMIN, LA BELLE ET LA MEUTE…) et la télévision. En 2015, il obtient le César de la meilleure musique originale pour la BO de TIMBUKTU d’Abderrahmane Sissako.
Présent fin juin à Rochefort, aux côtés de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh pour une projection de GAGARINE au Festival Sœurs Jumelles, Amine Bouhafa n’a pas fini de nous régaler de ses compositions puisque ces derniers mois, il a également signé, entre autres, les bandes originales des films SOEURS de Yamina Benguigui et L’HOMME QUI A VENDU SA PEAU de Kaouther Ben Hania.
Rencontre avec un musicien passionné et gourmand de cinéma et de musique…

 

Comment êtes-vous devenu musicien et plus spécialement compositeur de musique de films?  
C’est une relation d’amour passionnelle. Ma première passion c’est la musique mais je pense que c’est le cinéma qui m’a permis de réaliser mon rêve de faire de la musique et qui a conforté ce choix en m’ouvrant ses bras. J’en suis ravi. 

Plus jeune je faisais pas mal d’arrangements de chanson donc je traînais dans les studios. Un jour, j’avais alors 15 ans, un jeune réalisateur qui faisait son court-métrage cherchait un compositeur pour sa musique. Il m’a vu pianoter et m’a demandé si je voulais faire son film. Je lui ai répondu  “oui oui, avec grand plaisir, j’ai envie !” Et je suis passé, comme ça, d’un court à un deuxième puis un troisième, un documentaire un deuxième documentaire et puis ensuite j’ai eu la grande chance de rencontrer Abderrahmane Sissako avec qui j’ai travaillé sur ce film magnifique, TIMBUKTU qui  était mon premier film de fiction.  

Avec un César de la meilleure musique à la clé…
Oui ! Le cinéma qui vous ouvre les bras comme ça, si jeune et avec cet accueil public et critique pour le film avec 7 César, une nomination aux Oscars c’est fou, c’est comme un rêve ! 

Pensez-vous que la musique soit suffisamment mise à l’honneur dans le cinéma ? On a souvent le sentiment qu’elle est un peu mise de côté …
En fait, que ce soit la musique, la photo ou même les acteurs, on est au service de cette œuvre majeure qu’est le film. Je dirais qu’un film c’est l’enfant d’une orgie en fait. Tout le monde participe à la naissance de cette œuvre.

La musique, elle même, est au service de ce film mais si en plus on peut l’écouter comme une œuvre à part entière, c’est un bonus. Mais pour moi, elle est d’abord là pour servir le film. 

Comment s’est faite la rencontre avec Fanny & Jérémy, les réalisateurs de GAGARINE et comment s’est déroulée votre collaboration ?
Il faut dire que l’on est trois compositeurs à avoir travaillé sur ce film avec les frères Galperine dont j’aime beaucoup le travail. Chacun a travaillé de son côté sur des parties différentes du film mais toujours avec beaucoup de respect, une bonne entente et une bonne énergie. 

Et donc, au départ, j’ai rencontré Fanny & Jérémy lors d’une lecture du scénario et pour illustrer une séquence, ils avaient mis une chanson très, très belle sur laquelle j’ai grandi. C’est une chanson de Fairuz, la grande diva libanaise, et je me souviens que quand cette chanson est passée au cours de cette lecture j’avais la chair de poule. Du coup je suis allé les voir à la fin et je leur ait dit “c’est magnifique mais comment est ce que vous connaissez Fairuz?”  parce que si c’est une artiste extrêmement connue dans le monde arabe, c’est quand même rare, qu’on entende une chanson surtout pour illustrer un film franco-français. Ils m’ont dit “mais on adore Fairuz” et du coup, de fil en aiguille, on a parlé de cinéma et de musique. On s’est super bien entendu, on s’est trouvé des affinités artistiques. Puis, ils ont fait leur film et ils m’ont appelé pour que je réalise la chanson, on s’est tellement bien entendu qu’ils m’ont demandé de continuer le travail sur le score.
Ca a pris de l’ampleur et j’en suis ravi parce que je me rappelle que quand ils m’ont invité à l’une des projections de travail du film, c’était tellement émouvant… Je voyais ce maelström de sons, d’images et puis c’était d’une telle imprévisibilité !  On commence le  film, on est dans une cité on ne sait pas ce qui va se passer…puis on entre dans un univers poétique, un monde de rêve et ça c’est très inspirant !
Ca l’a été d’autant plus que c’est justement sur ces parties oniriques, rêveuses que j’ai surtout travaillé. Fanny et Jérémy voulaient de la générosité, de l’ampleur et du lyrisme.
Ils voulaient littéralement que le film, que le personnage s’envole. La musique dans un film, quelquefois, c’est aussi ça son rôle. C’est comme si le film était un avion sur un tarmac et la musique le fait décoller. En l’occurrence, c’était vraiment ça l’idée. 

Cette dimension magique, onirique du film était-elle déjà évidente lors de cette lecture du scénario ?
La lecture faisait ressentir un côté surréel mais c’est vrai que juste sur la lecture, on n’arrivait pas à se projeter complètement surtout quand ça parlait d’explosions, ce n’était pas très tangible.
Il fallait le support des images parce que la force de ce film c’est quand même beaucoup son visuel, mais on voyait quand même l’ambition du projet. On sentait que le film tranchait avec le regard unidimensionnel sur la cité que véhiculent la plupart des films actuels qu’on voit sur le sujet, c’était déjà autre chose. 

Il n’y avait pas ce côté stéréotypé sur les personnages. Les réalisateurs posent un regard extérieur sur la cité car ils n’y ont pas vécu. En revanche, ils ont côtoyé les habitants, ils les ont filmés avec au début ce regard documentaire. Petit à petit, ils les ont emmenés vers un autre univers, vers de l’onirisme, vers le rêve et c’est ça qui est assez frappant, assez stimulant. Je suis sorti de cette projection de travail en n’ayant pas grand-chose à dire car c’était une expérience très sensorielle, très immersive. 
Ensuite, on s’est revus deux mois plus tard pour travailler sur le film.

En dehors de sa musique et de la chanson, avez-vous aussi travaillé sur l’ambiance sonore du film ?
Je tiens à signaler que le travail sur le sound design du film est vraiment excellent. J’ai eu la chance d’arriver à un moment ou une partie de ce travail était déjà réalisé donc ça me permettait aussi de le prendre en compte, j’ai travaillé sur d’autres fréquences. J’ai essayé de laisser de la place à ce sound design parce que je pense qu’il apporte une personnification, une identité sonore à cet immeuble.

Fort de tous ces éléments et de la demande de Fanny & Jérémy, comment avez-vous travaillé votre partition ?
En général, j’ai un rapport assez visuel à la musique. Ce qui m’inspire le plus c’est vraiment les couleurs d’un film, les mouvements de la caméra. Typiquement, c’est des fois un peu difficile pour moi de composer sur un scénario parce que j’ai besoin de voir les images et de ressentir le rythme du montage. A partir de là, j’essaie de m’imprégner de toutes ces informations visuelles.

En général, je m’isole un peu pour essayer de composer avec le souvenir d’images qui se sont imprégnées dans ma mémoire visuelle. Après je prends tout ce matériel que j’ai pu esquisser. En fonction du film, ça peut être des sons, des mélodies, un mélange des deux, mais ça peut aussi être une palette d’orchestration classique, électro ou autre, voire de couleurs d’instruments.

Je fais tout cette cuisine interne en m’éloignant du travail très direct à l’image puis je prends tous ces éléments et je m’assois de nouveau devant le film. Là, je commence à essayer de voir à quel moment telle ou telle musique peut fonctionner sur les images, si  elle peut se marier parfaitement avec telle couleur du film. C’est vraiment un travail en trois étapes: Regarder le film, puis m’isoler pendant un moment pour travailler sans le revoir, puis confronter le résultat de ce travail avec le film.

Passez-vous avec facilité d’un réalisateur, d’un univers à un autre avec facilité?
C’est vraiment un monde où les affinités, les rencontres, c’est la chose la plus importante.  On rencontre d’abord une personne et puis on essaie de voir si on partage la même passion, les mêmes envies. C’est comme ça que naît cette envie de faire quelque chose ensemble.
Et mettre son ego de compositeurs ou de musiciens de côté pour s’inviter dans un univers de metteur en scène, un univers de cinéma, c’est vraiment passionnant !

J’ai beaucoup de chance parce que ce sont souvent des rencontres en festival ou en projection qui ont déclenché une envie de collaboration. C’est vraiment la rencontre qui crée l’œuvre et je pense que c’est vrai pour tous les chefs de poste.
En l’occurrence le compositeur est un troisième auteur, c’est ça  mon identité. Et j’ai envie de travailler avec quelqu’un qui partage les mêmes valeurs, les mêmes envies de cinéma, la même passion que moi, qui aime les mêmes musiques. J’ai envie de dire qui aime manger la même cuisine (rire).

Et puis c’est vrai que des fois l’envie de travailler avec des gens dont on aime le cinéma, amène à travailler avec d’autres gens dont on aime aussi le cinéma. Une rencontre en nourrit une autre, un film nourrit un autre film…la rencontre est donc vraiment la chose la plus importante dans ce monde du cinéma.

Propos recueillis le vendredi 25 juin, à l’occasion de la première édition du Festival Sœurs Jumelles à Rochefort. 

 

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